Dames et seigneurs, marauds et vagabonds, je vous salue!
J'ai pris mes quartiers depuis quelques jours dans une vieille masure abandonnée, à la sortie de Langres. Mes intentions sont toute pacifiques et je prends doucement mes habitudes
. Après un séjour de plusieurs années au coeur de la forêt voisine, je me trouve quelque peu désapointé en ce lieu. Que n'ai je visité les tavernes de Langres lorsqu'elles étaient pleines de monde!
Sachez que je me trouve en ce moment fort mécontent, et malgré une introspection minutieuse, je n'ai pu trouver la cause de ces humeurs.
Lors de mon arrivée, le bon père Didacticiel me proposa son aide; tout accaparé par le colmatage des fuites de mon nouveau toit, je commis l'erreur de ne point le suivre à travers les rues
. Est-ce possible de le rencontrer de nouveau?
Dame d'Appérault, Monsieur le Maire, Sieur Spock, habitants de Langres,
je vous donne le bonsoir!
Honorius
Edit: je viens de m'apercevoir que la coutume semble être de se présenter de manière plus approfondie. Voici donc mon histoire.
La grande disette de l'an 1442 me chassa hors la masure familiale à l'âge de sept ans. Affamé, bastonné par la valetaille des riches voyageurs que j'osais approché, je fus finalement enrôlé de force par une horde de bandits de grands chemins.
Réduit à l’état d’esclave, j’effectuais les plus viles besognes, m’affairant comme une ombre afin d’éviter les coups de mes maîtres. Les détrousseurs avaient habilement établi leur campement dans les sous-bois de la forêt de Langres. Oncques âme sensée ne s’y serait aventurée, car grande était la frayeur qu’inspirait ce lieu considéré comme maudit. Gens de magie et autres âmes damnées, disait-on, y faisaient commerce avec le Fourchu. Mes geôliers eux-mêmes n’osaient s’aventurer plus loin que les sous-bois. Une nuit que ces soudards s’étaient avinés plus que de coutume, je surmontai la terreur que m’inspirait la forêt et m’y enfonçai.
Les semaines ou les mois s’égrainant, la solitude et la peur firent bientôt de moi un animal de l’ombre. Me terrant jour et nuit, je me nourrissais des quelques baies et autres végétaux à porté de mon bras. Une nuit, pourtant, je me réveillai en sursaut : au-dessus de moi était penché le visage d’un vieil homme à la longue barbe blanche. L’éclat de la lune rendait cette apparition terrifiante : je ne trouvai aucune vigueur pour m’enfuir. Le vieux, lisant sur mes traits la frayeur qui était mienne, m’adressa un sourire profond et apaisant. Il murmura quelques mots d’une voix douce et me prit dans ses bras. A bout de force, ma conscience m’abandonna.
J’ouvris les yeux alors que le soleil était déjà haut dans le ciel. Ma peau meurtrie était recouverte d’onguents et de pansements de feuilles. Le visage ridé de la veille me sourit de nouveau.
Jour après jour, je m’éveillai de nouveau à la vie. Mon hôte était un vieil ermite avare de paroles. Il me prit cependant en affection et m’éleva comme un fils.
Son érudition était grande : outre les ouvrages et parchemins qui emplissaient sa cahute, il maniait d’étranges mécaniques qui me semblèrent, la première fois que je les vis, objets de magie. Il décida que ma vie n’avait été que néant et que j’étais un nouveau-né. Il disparu un temps parmi ses vélins et en exhuma un Empereur des temps anciens. Il m’en offrit le nom que je porte désormais.
Le sage ermite ne fut point avare de sa science : il m’enseigna la lecture et l’écriture du françois, du grec et du latin, m’appris le nom des étoiles ainsi que leur nature ; il exerça mon esprit aux chiffres ; me démontra que la terre n’était point plate et que le soleil ne tournait point autour. Enfin il me fit lire la bible tout en m’enjoignant de n’en rien retenir que sa philosophie. Dieu, m’enseigna-t-il, n’est qu’une affabulation et l’Eglise est une fieffé harpie qui se nourrit de l’ignorance des hommes.
Après ces violents réquisitoires, mon maître sombrait dans une mélancolie profonde. Ignorant les causes d’un tel abattement, je n’osais point le questionner. Je guettais alors ses murmures nostalgiques, mais jamais je n'en saisi le sens.
Les saisons s’écoulèrent jusqu’à ce que je devienne un homme ; mon maître était devenu un vieillard. Mesurant le temps qu’il avait vécu, il m’annonça un soir sa fin proche. Il m’appela « mon fils » et m’ouvrit son cœur.
Aimé et respecté, il avait contribué par le passé à fonder une confrérie composée d’érudits et de sages. Ils travaillaient ensemble à l’émergence d’un nouvel âge : combattant par la science les croyances obscurantistes, ils voulaient par le Savoir affranchir le peuple de son joug. Hélas, la toute puissante Sainte Inquisition eu tôt fait de les débusquer : lui et ses compagnons furent emprisonnés et soumis à la question. Reconnus coupables de vénérer les dieux anciens, le Tribunal Divin les condamna à être purifiés par le feu. Mon maître dut son salut, ainsi que quelques-uns de ses compagnons, à un prêtre de leurs amis qui su les soustraire à la vigilance des gardes. Il renonça alors à la compagnie des hommes et se perdit dans la forêt de Langres.
« Tu dois maintenant rejoindre tes semblables, m’annonça-t-il. Emploie la science que je t’ai enseignée à de nobles desseins et qui sait ? peut-être mes anciens compagnons ont-ils des fils, des filles qui avec toi prolongeront notre oeuvre. » Il me fit prêter serment, puis ferma les yeux, apaisé.
Au premier jour du printemps le souffle qui l’animait se dissipa. Je lui fit une digne sépulture, visitai une dernière fois sa cahute ; je décidai de tout laisser là. J’emballai une miche de pain dans un mouchoir et me mis en route. Après plusieurs heures de marche, la forêt se fit moins dense. J’en atteignis bientôt la lisière et aperçu le village de Langres, baigné de soleil.
A ceux qui me demandent aujourd'hui qui je suis et d’où je viens, je réponds : «Honorius de Langres, du nom d’un Empereur des temps anciens et d’une forêt maudite, sans argent, sans terre et l’homme le plus heureux du royaume ! »